Décryptage

“Pour stopper l’artificialisation des sols, il faut changer nos imaginaires urbains”

Le ZAN, « zéro artificialisation nette », est désormais inscrit dans la loi à l’horizon 2050. Il passe avant toute chose par la reconstruction de la ville sur la ville en y intégrant la renaturation de certains espaces. Un défi, pas seulement technique, dont les territoires doivent s’emparer. Avec l’ADEME à leurs côtés. Le point avec Anne Lefranc, coordinatrice au Pôle Aménagement des Villes et des Territoires.


L’ADEME a publié il y a quelques mois un état de l’art sur l’artificialisation des sols en France et des axes de travail pour y mettre fin : que nous apprend-il ?
Anne Lefranc

D’abord, qu’elle se poursuit. En moyenne, d’après les calculs des fichiers fonciers, entre 2009 et 2017, 28 190 hectares se sont ajoutés chaque année aux 9,58 % de notre territoire national déjà artificialisés. Après avoir fléchi, la tendance est même repartie à la hausse. La construction de nouveaux habitats en est, et de très loin, la première responsable. Surtout pour l’habitat individuel. Ce phénomène est sans rapport avec la croissance de la population qui, depuis 1981, progresse 3,7 fois moins vite que les espaces soustraits à la nature, à la forêt, à l’agriculture. Le modèle du lotissement pavillonnaire en zone périurbaine séduit encore beaucoup et demeure utilisé par les territoires comme outil d’attractivité. Avec tous les impacts qui s’ensuivent : des routes, des équipements, des zones commerciales… pris souvent sur -d’excellentes terres agricoles. Il faut dire que l’objectif de zéro artificialisation nette, ou ZAN, vient seulement de faire son entrée dans la loi Climat et Résilience à l’horizon 2050, avec une étape intermédiaire, un rythme de consommation des sols divisé par 2 en 2030. Mais leur gestion durable est inscrite dans l’action de l’ADEME depuis plusieurs années…

Pourquoi viser le zéro artificialisation nette ?
A. L. 

Parce que les services écosystémiques rendus par les sols sont très nombreux et qu’ils s’annoncent décisifs pour contenir le changement climatique et en atténuer les effets. Fourniture d’aliments, de combustibles et de matériaux, séquestration du carbone, régulation du climat et des crues, vivier de biodiversité… cette diversité est d’ailleurs source d’intenses débats sur la mesure de l’artificialisation puisque, sans rendre les mêmes services qu’un bois, un marais ou un champ, un jardin vaut mieux qu’un parking bitumé. L’appréhension fine des services rendus par tel ou tel milieu est indispensable pour mettre en œuvre les principes  « éviter, réduire, compenser », car on parle bien d’un équilibre net, pas d’une interdiction pure et simple.

Vous accordez une grande attention aux espaces urbanisés…
A. L. 

La ville de demain est déjà construite en grande partie. Reconstruire la ville sur la ville est le principal levier pour préserver nos sols. L’existant et le « déjà là » sont au centre de toutes les attentions, dans ce que l’on appelle désormais l’urbanisme circulaire. À eux seuls, les sites, d’activités industrielles et de services en aire urbaine, parfois en friche,  représenteraient un gisement de 150 000 hectares. La facture initiale de l’aménageur dépassera évidemment celle d’un programme équivalent sur terrain nu, puisqu’il faudra déconstruire, désimperméabiliser, dépolluer… Mais par rapport à un site « neuf » forcément plus éloigné, la collectivité et les usagers s’épargneront d’importants surcoûts liés, en premier lieu, à l’allongement des routes, des réseaux et des temps de transport. Sans compter toutes les externalités sur l’environnement… L’outil  d’évaluation des bénéfices nets socio-économiques Bénéfriches, développé par l’ADEME, permet de les confronter au bilan global d’une opération. Par exemple, l’aménagement de la ZAC Océane-Acacias à Trignac, en Loire-Atlantique, présente un déficit de 6,4 millions mais conduit à des bénéfices nets socio-économiques d’environ 19 millions d’euros, ici associés à de futures dépenses évitées. De quoi faire réfléchir les décideurs, même dans les secteurs où les prix de l’immobilier ne peuvent pas absorber les surcoûts d’une réhabilitation. De la déconstruction vertueuse à l’écoconstruction, bien des défis techniques et sociétaux restent à relever pour assurer l’avènement de la ville sobre. Il faut aussi reconquérir les imaginaires en proposant de nouvelles formes urbaines, plus désirables. Nouveaux béguinages, îlots haussmanniens ouverts, habitat semi-collectif… de nombreuses et très belles initiatives sont heureusement déjà à l’œuvre.

Comment allez-vous accompagner les territoires ?
A. L. 

Les collectivités territoriales sont en première ligne, car elles vont devoir rapidement décliner les objectifs nationaux dans leurs documents de planification, notamment les SRADDET, SCoT et PLU. Pour cela, il leur faut les bons outils, dont certains restent à imaginer. Au terme d’un premier appel à manifestation d’intérêt « Objectif ZAN », nous soutenons 22 territoires lauréats, à hauteur de 1,8 million d’euros et créons une dynamique d’acteurs prêts à s’engager et à partager leur expérience, des études nécessaires à l’élaboration d’une trajectoire ZAN à la préparation de projets concrets. Personne aujourd’hui ne détient toutes les solutions mais, collectivement, nous n’en sommes peut-être pas si loin…

28 190 hectares

artificialisés chaque année, soit presque trois fois la surface de Paris.

150 000 hectares

de sites potentiellement en friche à reconquérir

1,8 million d’euros

pour accompagner 22 territoires dans leur stratégie ZAN